Ad Code

Les limites de l'apnée


 Les limites de l'apnée 


 Les limites de l'apnée           On ne peut retenir longtemps sa respiration. Un mécanisme physiologique oblige à respirer à nouveau, bien avant que le manque d'oxygène ne menace le fonctionnement du cerveau.  Inspirez profondément et retenez votre respiration. Combien de temps allez-vous tenir ainsi ? En moyenne, nous respirons environ 12 fois par minute. La respiration et les battements du cœur sont deux rythmes biologiques à la fois vitaux et automatiques. Le cerveau ajuste le rythme respiratoire aux besoins de l'organisme, sans que nous en ayons conscience. En revanche, s'il est difficile d'influer volontairement sur le rythme cardiaque, nous pouvons retenir notre respiration délibérément pendant de courtes périodes. Cette aptitude présente un avantage pour éviter que de l'eau ou des poussières ne pénètrent dans les poumons, pour se préparer avant un effort musculaire et pour prolonger le temps pendant lequel nous pouvons parler sans interruption. Ainsi, retenir sa respiration est facile, comprendre pourquoi est bien plus difficile. Au fait, n'hésitez pas à recommencer à respirer normalement, si vous ne l'avez déjà fait !    Retenir sa respiration : combien de temps ? Qu'est-ce qui détermine la durée pendant laquelle nous pouvons arrêter de respirer ? Bien que tous les mammifères en soient capables, personne n'a encore trouvé comment persuader des animaux de laboratoire de retenir leur respiration à la demande pendant plusieurs secondes. Par conséquent, on ne peut étudier que chez l'homme ce qui se passe quand on arrête de respirer. Si le cerveau manque d'oxygène pendant longtemps, le sujet perd connaissance et des lésions cérébrales, voire la mort, peuvent survenir. Ces risques sont incompatibles avec les expériences que l'on pourrait envisager. De fait, certaines études réalisées il y a plusieurs dizaines d'années ne peuvent être répétées, car elles violeraient les normes de sécurité et d'éthique en vigueur aujourd'hui. Cependant, les biologistes ont trouvé comment répondre en partie aux questions que pose l'arrêt de la respiration. Non seulement on comprend mieux certains aspects de la physiologie humaine, mais ces découvertes pourraient aussi aider à sauver des vies.  En 1959, le physiologiste Hermann Rahn, de la Faculté de médecine de l'Université de Buffalo, aux États-Unis, a utilisé une combinaison de méthodes inhabituelles pour retenir sa respiration pendant presque 14 minutes : ralentir son métabolisme, hyperventiler, c'est-à-dire respirer très rapidement ou encore remplir ses poumons d'oxygène pur. De même, Edward Schneider, un pionnier de la recherche sur le blocage de la respiration, à l'École militaire de médecine aéronautique, à Mitchel Field, dans le New Jersey, a décrit un sujet ayant retenu sa respiration pendant 15 minutes et 13 secondes dans des conditions comparables, dans les années 1930.  Des études et l'expérience quotidienne suggèrent qu'après avoir gonflé les poumons au maximum, nous ne pouvons généralement pas retenir notre respiration plus d'une minute environ. Pourtant, les poumons à eux seuls contiennent en théorie suffisamment d'oxygène pour assurer le métabolisme pendant près de quatre minutes. De même, le dioxyde de carbone (le produit de dégradation fabriqué par le métabolisme cellulaire, et évacué par l'air expiré) ne s'accumule pas assez vite dans le sang pour y atteindre des concentrations toxiques au bout d'une minute.  Ajoutons un autre élément surprenant : les plongeurs peuvent rester en apnée plus longtemps, en partie parce qu'il existe une motivation accrue (un réflexe de survie) qui permet d'éviter que l'eau n'envahisse les poumons. Les mammifères et les oiseaux aquatiques présentent un réflexe de plongée qui ralentit la vitesse du métabolisme pendant que la respiration est bloquée sous l'eau, mais on ignore si c'est aussi le cas chez l'homme. Toutefois, comme dans le cas précédent, les plongeurs qui retiennent leur respiration sont obligés de reprendre leur respiration bien avant d'avoir épuisé leurs réserves d'oxygène.    Un signal impérieux Comme l'avait observé Schneider : « Il est pratiquement impossible pour un homme de retenir volontairement sa respiration jusqu'à perdre connaissance. » Un évanouissement peut survenir dans des circonstances exceptionnelles, lors de compétitions de plongées extrêmes, voire chez certains enfants, qui semblent pouvoir retenir leur respiration assez longtemps pour s'évanouir. Diverses études en laboratoire ont confirmé que cela ne peut arriver chez des adultes. Bien avant qu'un manque d'oxygène ou un excès de dioxyde de carbone ne puisse endommager le cerveau, un signal nous oblige à inspirer à nouveau.  Comment expliquer ce signal ? Des capteurs spécialisés enregistreraient les changements physiologiques associés au blocage de la respiration et déclencheraient l'inspiration avant que le cerveau ne souffre. Il pourrait s'agir des capteurs qui surveillent le volume des poumons et de la poitrine ou détectent les concentrations trop basses d'oxygène ou trop élevées de dioxyde de carbone dans le sang et dans le cerveau. Pourtant, cela ne semble pas être le cas. L'implication des capteurs contrôlant le volume des poumons a été exclue par différentes expé  riences conduites entre 1960 et 1990 par Helen Harty et John Eisele, travaillant à l'Hôpital Charing Cross de Londres, et par Patrick Flume, à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill. Leurs expériences ont montré que ni les patients ayant subi une transplantation de poumons, et dont les connexions nerveuses entre les poumons et le cerveau avaient été sectionnées, ni les patients sous rachianesthésie totale, dont les récepteurs sensoriels des muscles de la poitrine étaient bloqués, ne pouvaient  retenir longtemps leur respiration.  Les recherches semblent également exclure l'intervention des capteurs chimiques (chimiorécepteurs) de l'oxygène et du dioxyde de carbone. Chez l'homme, les seuls chimiorécepteurs connus détectant les faibles concentrations d'oxygène dans le sang sont situés juste sous la mâchoire dans les artères carotides, qui alimentent le cerveau en oxygène. Les chimiorécepteurs détectant une augmentation des concentrations de dioxyde de carbone dans le sang sont localisés dans les artères carotides et dans le tronc cérébral, lequel contrôle la respiration régulière et les autres fonctions autonomes (non volontaires).  Si les chimiorécepteurs imposaient la reprise de la respiration après un arrêt volontaire, alors en leur absence, on devrait pouvoir retenir sa respiration jusqu'à perdre connaissance. Toutefois, des expériences réalisées par l'équipe de Karlman Wasserman à l'Université de Californie, à Los Angeles, ont montré que ce n'est pas possible même quand les connexions nerveuses entre les chimiorécepteurs localisés dans les artères carotides et le cerveau sont interrompues.  En outre, si des concentrations anormales d'oxygène (trop basses) ou de dioxyde de carbone (trop élevées) déclenchaient la reprise de la respiration, il serait impossible de retenir sa respiration au-delà de ces seuils. Or de nombreuses études ont montré que ce n'est pas le cas. De surcroît, après la reprise de la respiration, il serait impossible de s'arrêter à nouveau de respirer tant que les concentrations d'oxygène et de dioxyde de carbone ne seraient pas revenues normales. Cela ne semble pas non plus être le cas.  Ces diverses expériences suggèrent que le besoin de respirer serait lié à l'activité musculaire liée à la respiration et non pas directement à l'échange des gaz. Lorsque la poitrine est gonflée, elle tend naturellement à se dégonfler, à moins que les muscles assurant l'inspiration ne la maintiennent dans l'état gonflé. On a donc commencé à chercher des réponses dans les contrôles neurobiologiques et mécaniques que l'organisme exerce sur ces muscles inspirateurs. Dans le cadre de ces travaux, il s'agissait aussi de tester si le blocage de la respiration fait intervenir un arrêt volontaire de la respiration autonome, ou s'il agit directement sur les muscles de la respiration en les empêchant d'imposer le rythme automatique.  Le rythme de la respiration se met en place dès que le tronc cérébral envoie des impulsions via les deux nerfs phréniques vers le diaphragme, un muscle en forme de coupole situé sous les poumons, lui commandant de se contracter ou de se détendre. Quand il ne reçoit plus d'impulsions, le diaphragme se relâche et les poumons se dégonflent. En d'autres termes, un schéma cyclique d'activité nerveuse (un rythme respiratoire central) reflète le rythme respiratoire. Chez l'homme, il est impossible de mesurer ce rythme central directement à partir des nerfs phréniques ou du tronc cérébral (le sujet n'y survivrait pas !). Dès lors, les chercheurs ont conçu des moyens d'enregistrer le rythme respiratoire central de façon indirecte : ils surveillent l'activité électrique du diaphragme, la pression dans les voies respiratoires ou diverses modifications dans le système nerveux autonome, par exemple les changements du rythme cardiaque (nommés arythmie sinusale respiratoire).    L'activité rythmique du diaphragme En travaillant sur ces mesures indirectes, Emilio Agostoni, de l'Université de Milan, a montré en 1963 qu'il pouvait détecter un rythme respiratoire central chez des personnes retenant leur respiration. Dans des expériences similaires menées à l'Université de Birmingham en Angleterre, en 2003 et 2004, Hannah Cooper, l'anesthésiste Thomas Clutton-Brock et moi-même avons utilisé l'arythmie sinusale respiratoire pour montrer que le rythme respiratoire central ne s'arrête jamais : il persiste pendant toute la durée de l'arrêt de la respiration. On en déduit que l'apnée doit inhiber l'activité rythmique du diaphragme, sans doute par une contraction volontaire continue de ce muscle. Différentes expériences semblent avoir exclu l'intervention d'autres muscles participant à la respiration normale. Ainsi, la reprise de la respiration dépendrait d'une rétroaction sensorielle du diaphragme vers le cerveau, indiquant à quel moment la « fatigue » du muscle n'est plus supportable.  Si tel est le cas, paralyser le diaphragme et, par conséquent, supprimer la rétroaction sensorielle vers le cerveau, devrait permettre aux sujets de prolonger notablement la durée pendant laquelle ils peuvent cesser de respirer. C'est ce qu'ont voulu vérifier Edward Campbell et ses collègues à l'Hôpital Hammersmith à Londres à la fin des années 1960. Deux volontaires sains et conscients ont accepté que tous leurs muscles squelettiques soient paralysés temporairement par une injection intraveineuse de curare, à l'exception de ceux d'un avant-bras, ce qui leur permettait de communiquer. Pendant l'expérience, les sujets ont été placés sous respiration artificielle ; le blocage de la respiration a été simulé par l'arrêt de la ventilation et les sujets ont signalé avec leur main non anesthésiée le moment où ils voulaient que la ventilation soit rétablie.    La paralysie du diaphragme prolonge l'apnée Les résultats furent étonnants. Les deux volontaires laissèrent la ventilation débranchée pendant environ quatre minutes, durée au bout de laquelle l'anesthésiste est intervenu pour dissiper les effets du curare, parce que la concentration de dioxyde de carbone avait dangereusement augmenté. Après dissipation des effets du curare, les deux sujets ont indiqué qu'ils ne ressentaient pas de symptômes pénibles de suffocation ou de malaise.  Pour des raisons évidentes, une expérience aussi audacieuse n'a pas été répétée souvent. Quelques autres chercheurs ont essayé, mais n'ont pas réussi à reproduire les résultats de Campbell. Les volontaires ont demandé à respirer à nouveau après une durée si courte que leurs concentrations de dioxyde de carbone étaient à peine supérieures à la normale. Les sujets ont peut-être décidé de terminer l'expérience en raison de la gêne causée par l'intubation, une mesure de sécurité qui n'avait pas été mise en œuvre dans l'expérience de Campbell, et parce qu'ils avaient davantage conscience du risque encouru.  Néanmoins, quelques expériences tout aussi remarquables réalisées par Mark Noble, à l'Hôpital Charling Cross dans les années 1970, semblent confirmer que la paralysie du diaphragme prolonge la durée de l'apnée. Au lieu d'une paralysie totale des muscles squelettiques, M. Noble et ses collègues ont paralysé uniquement le diaphragme, en anesthésiant les deux nerfs phréniques, ce qui était beaucoup moins dangereux pour les sujets. Cette anesthésie spécifique a doublé la durée moyenne de l'apnée et réduit les sensations habituelles de malaise accompagnant une absence de respiration.  Les différents résultats semblent confirmer l'hypothèse qu'une contraction volontaire du diaphragme permet de bloquer la respiration en maintenant la poitrine gonflée. Le moment où le sujet  reprend sa respiration dépend des stimulus émis par le diaphragme contracté et qui parviennent au cerveau. Au cours d'une contraction anormalement longue, le cerveau perçoit les signaux inhabituels émis par le diaphragme. Initialement un peu douloureux, ils finissent par devenir insupportables, déclenchant la reprise de la respiration. Le rythme automatique reprend ensuite le contrôle.  Cette hypothèse n'est pas totalement validée, mais elle concorde bien avec les observations de Fowler (selon lesquelles toute interruption du blocage de la respiration par relâchement du diaphragme peut être suivie d'un autre blocage) et avec les effets du gonflement des poumons sur la durée de l'apnée. Le relâchement du diaphragme, même bref, et une légère expiration retarderaient la reprise de la respiration en atténuant les signaux des capteurs de distension dans le diaphragme.    Le signal de reprise : une fatigue excessive du diaphragme L'augmentation de la concentration d'oxygène et la diminution de celle du dioxyde de carbone dans le sang accroîtraient également la durée de l'apnée, en réduisant les indicateurs biochimiques de fatigue du diaphragme. Tout ce qui empêche le cerveau de surveiller ces informations, par exemple le blocage des nerfs reliant le diaphragme au cerveau, augmente la durée. La tolérance du cerveau à ces signaux désagréables dépend également de l'humeur, de la motivation et de la capacité à penser à autre chose, par exemple à se concentrer sur des opérations de calcul mental pendant l'apnée.  Cette hypothèse est l'explication la plus simple s'appliquant aux diverses observations expérimentales. Certaines de ces expériences comprenaient un nombre trop faible de sujets pour être généralisées, mais elles ne rempliraient pas les critères éthiques en vigueur pour être reproduites aujourd'hui.  En outre, M. Noble et ses collègues avaient réalisé une autre expérience spectaculaire qui ne pourra être répétée pour des raisons éthiques. Ils ont triplé la durée de blocage de la respiration chez trois sujets sains en anesthésiant deux ensembles de nerfs crâniens (les nerfs vagues, qui vont du cerveau à la poitrine et à l'abdomen, et les nerfs glossopharyngiens, reliés à la glotte, au larynx et diverses régions de la gorge). Ces résultats ne semblent pas impliquer le diaphragme, sauf qu'il est possible que les nerfs vagues transmettent eux aussi des signaux provenant du diaphragme. Il paraît moins vraisemblable que le larynx contienne lui-même un muscle intervenant dans le blocage de la respiration ; en 1993, lorsque le chirurgien australien Martyn Mendelsohn, à Sydney, a examiné la glotte (à l'aide d'une caméra insérée dans une narine), il a constaté qu'elle restait souvent ouverte pendant toute la durée de l'apnée. Cette observation semble confirmer que le diaphragme joue un rôle clé.    Des applications en médecine Une meilleure compréhension de la capacité à retenir sa respiration a des applications en médecine. Ainsi, les femmes atteintes d'un cancer du sein subissent des séances de radiothérapie, durant lesquelles il faut irradier la tumeur en administrant des doses létales, sans endommager les tissus sains aux alentours. Cette opération nécessite une exposition aux rayonnements de plusieurs minutes, pendant lesquelles la patiente doit essayer de maintenir sa poitrine immobile. Comme on ne peut pas lui demander de ne pas respirer pendant si longtemps, on administre généralement de courtes rafales de rayonnements entre chaque inspiration, au moment où la poitrine bouge le moins. Avec plusieurs collègues oncologues et radiothérapeutes, nous avons commencé à tester s'il serait possible de prolonger suffisamment le blocage de la respiration pour améliorer la radiothérapie.  Mieux connaître les mécanismes impliqués dans le blocage de la respiration pourrait également être précieux pour les forces de l'ordre, lorsqu'elles maîtrisent des suspects. Chaque année partout dans le monde, certaines personnes ainsi maîtrisées meurent accidentellement. L'augmentation de la vitesse du métabolisme, la compression de la poitrine, la diminution de la concentration d'oxygène et l'augmentation de celle du dioxyde de carbone dans le sang, tous ces paramètres raccourcissent la durée du blocage de la respiration d'une personne. Ainsi, quelqu'un qui est en colère, qui s'est battu et qui est maintenu à terre par la force peut avoir besoin de reprendre sa respiration plus vite que quelqu'un qui est détendu.  En 2000, Andrew Cummin et son équipe de l'Hôpital Charing Cross ont étudié, chez huit sujets sains qui avaient fait un peu de vélo, les conséquences d'une expiration maximale, suivie d'un blocage de la respiration : les sujets n'ont pu rester sans respirer plus de 15 secondes, la quantité moyenne d'oxygène dans leur sang a fortement chuté et chez deux d'entre eux les battements cardiaques sont devenus irréguliers. Les chercheurs en ont conclu qu'un « arrêt de la respiration pendant de courtes périodes lors d'une immobilisation vigoureuse peut expliquer des morts subites ». Les autorités policières britanniques ont rédigé des directives précises quant à l'utilisation de l'immobilisation par la force.

On ne peut retenir longtemps sa respiration. Un mécanisme physiologique oblige à respirer à nouveau, bien avant que le manque d'oxygène ne menace le fonctionnement du cerveau.


Inspirez profondément et retenez votre respiration. Combien de temps allez-vous tenir ainsi ? En moyenne, nous respirons environ 12 fois par minute. La respiration et les battements du cœur sont deux rythmes biologiques à la fois vitaux et automatiques. Le cerveau ajuste le rythme respiratoire aux besoins de l'organisme, sans que nous en ayons conscience. En revanche, s'il est difficile d'influer volontairement sur le rythme cardiaque, nous pouvons retenir notre respiration délibérément pendant de courtes périodes. Cette aptitude présente un avantage pour éviter que de l'eau ou des poussières ne pénètrent dans les poumons, pour se préparer avant un effort musculaire et pour prolonger le temps pendant lequel nous pouvons parler sans interruption. Ainsi, retenir sa respiration est facile, comprendre pourquoi est bien plus difficile. Au fait, n'hésitez pas à recommencer à respirer normalement, si vous ne l'avez déjà fait !

Retenir sa respiration : combien de temps ?

Qu'est-ce qui détermine la durée pendant laquelle nous pouvons arrêter de respirer ? Bien que tous les mammifères en soient capables, personne n'a encore trouvé comment persuader des animaux de laboratoire de retenir leur respiration à la demande pendant plusieurs secondes. Par conséquent, on ne peut étudier que chez l'homme ce qui se passe quand on arrête de respirer. Si le cerveau manque d'oxygène pendant longtemps, le sujet perd connaissance et des lésions cérébrales, voire la mort, peuvent survenir. Ces risques sont incompatibles avec les expériences que l'on pourrait envisager. De fait, certaines études réalisées il y a plusieurs dizaines d'années ne peuvent être répétées, car elles violeraient les normes de sécurité et d'éthique en vigueur aujourd'hui. Cependant, les biologistes ont trouvé comment répondre en partie aux questions que pose l'arrêt de la respiration. Non seulement on comprend mieux certains aspects de la physiologie humaine, mais ces découvertes pourraient aussi aider à sauver des vies.

Des études et l'expérience quotidienne suggèrent qu'après avoir gonflé les poumons au maximum, nous ne pouvons généralement pas retenir notre respiration plus d'une minute environ. Pourtant, les poumons à eux seuls contiennent en théorie suffisamment d'oxygène pour assurer le métabolisme pendant près de quatre minutes. De même, le dioxyde de carbone  CO2 (le produit de dégradation fabriqué par le métabolisme cellulaire, et évacué par l'air expiré) ne s'accumule pas assez vite dans le sang pour y atteindre des concentrations toxiques au bout d'une minute.
Ajoutons un autre élément surprenant : les plongeurs peuvent rester en apnée plus longtemps, en partie parce qu'il existe une motivation accrue (un réflexe de survie) qui permet d'éviter que l'eau n'envahisse les poumons. Les mammifères et les oiseaux aquatiques présentent un réflexe de plongée qui ralentit la vitesse du métabolisme pendant que la respiration est bloquée sous l'eau, mais on ignore si c'est aussi le cas chez l'homme. Toutefois, comme dans le cas précédent, les plongeurs qui retiennent leur respiration sont obligés de reprendre leur respiration bien avant d'avoir épuisé leurs réserves d'oxygène.

Un signal impérieux


Il est pratiquement impossible pour un homme de retenir volontairement sa respiration jusqu'à perdre connaissance. » Un évanouissement peut survenir dans des circonstances exceptionnelles, lors de compétitions en apnée, voire chez certains enfants, qui semblent pouvoir retenir leur respiration assez longtemps pour s'évanouir. Diverses études en laboratoire ont confirmé que cela ne peut arriver chez des adultes. Bien avant qu'un manque d'oxygène ou un excès de dioxyde de carbone n CO2 puisse endommager le cerveau, un signal nous oblige à inspirer à nouveau.
Comment expliquer ce signal ? Des capteurs spécialisés enregistreraient les changements physiologiques associés au blocage de la respiration et déclencheraient l'inspiration avant que le cerveau ne souffre. Il pourrait s'agir des capteurs qui surveillent le volume des poumons ou détectent les concentrations trop basses d'oxygène ou trop élevées de dioxyde de carbone dans le sang et dans le cerveau. 
celan semble pas être le cas. L'implication des capteurs contrôlant le volume des poumons a été exclue par différentes expé
riences conduites entre 1960 et 1990 par Helen Harty et John Eisele, travaillant à l'Hôpital Charing Cross de Londres, et par Patrick Flume, à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill. Leurs expériences ont montré que ni les patients ayant subi une transplantation de poumons, et dont les connexions nerveuses entre les poumons et le cerveau avaient été sectionnées, ni les patients sous rachianesthésie totale, dont les récepteurs sensoriels des muscles de la poitrine étaient bloqués, ne pouvaient
retenir longtemps leur respiration.
Les recherches semblent également exclure l'intervention des capteurs chimiques (chimiorécepteurs) de l'oxygène et du dioxyde de carbone. Chez l'homme, les seuls chimiorécepteurs connus détectant les faibles concentrations d'oxygène dans le sang sont situés juste sous la mâchoire dans les artères carotides, qui alimentent le cerveau en oxygène. Les chimiorécepteurs détectant une augmentation des concentrations de dioxyde de carbone dans le sang sont localisés dans les artères carotides et dans le tronc cérébral, lequel contrôle la respiration régulière et les autres fonctions autonomes (non volontaires).
Si les chimiorécepteurs imposaient la reprise de la respiration après un arrêt volontaire, alors en leur absence, on devrait pouvoir retenir sa respiration jusqu'à perdre connaissance. Toutefois, des expériences réalisées par l'équipe de Karlman Wasserman à l'Université de Californie, à Los Angeles, ont montré que ce n'est pas possible même quand les connexions nerveuses entre les chimiorécepteurs localisés dans les artères carotides et le cerveau sont interrompues.
En outre, si des concentrations anormales d'oxygène (trop basses) ou de dioxyde de carbone (trop élevées) déclenchaient la reprise de la respiration, il serait impossible de retenir sa respiration au-delà de ces seuils. Or de nombreuses études ont montré que ce n'est pas le cas. De surcroît, après la reprise de la respiration, il serait impossible de s'arrêter à nouveau de respirer tant que les concentrations d'oxygène et de dioxyde de carbone ne seraient pas revenues normales. Cela ne semble pas non plus être le cas.
Ces diverses expériences suggèrent que le besoin de respirer serait lié à l'activité musculaire liée à la respiration et non pas directement à l'échange des gaz. Lorsque la poitrine est gonflée, elle tend naturellement à se dégonfler, à moins que les muscles assurant l'inspiration ne la maintiennent dans l'état gonflé. On a donc commencé à chercher des réponses dans les contrôles neurobiologiques et mécaniques que l'organisme exerce sur ces muscles inspirateurs. Dans le cadre de ces travaux, il s'agissait aussi de tester si le blocage de la respiration fait intervenir un arrêt volontaire de la respiration autonome, ou s'il agit directement sur les muscles de la respiration en les empêchant d'imposer le rythme automatique.
Le rythme de la respiration se met en place dès que le tronc cérébral envoie des impulsions via les deux nerfs phréniques vers le diaphragme, un muscle en forme de coupole situé sous les poumons, lui commandant de se contracter ou de se détendre. Quand il ne reçoit plus d'impulsions, le diaphragme se relâche et les poumons se dégonflent. En d'autres termes, un schéma cyclique d'activité nerveuse (un rythme respiratoire central) reflète le rythme respiratoire. Chez l'homme, il est impossible de mesurer ce rythme central directement à partir des nerfs phréniques ou du tronc cérébral (le sujet n'y survivrait pas !). Dès lors, les chercheurs ont conçu des moyens d'enregistrer le rythme respiratoire central de façon indirecte : ils surveillent l'activité électrique du diaphragme, la pression dans les voies respiratoires ou diverses modifications dans le système nerveux autonome, par exemple les changements du rythme cardiaque (nommés arythmie sinusale respiratoire).

L'activité rythmique du diaphragme

En travaillant sur ces mesures indirectes, Emilio Agostoni, de l'Université de Milan, a montré en 1963 qu'il pouvait détecter un rythme respiratoire central chez des personnes retenant leur respiration. Dans des expériences similaires menées à l'Université de Birmingham en Angleterre, en 2003 et 2004, Hannah Cooper, l'anesthésiste Thomas Clutton-Brock et moi-même avons utilisé l'arythmie sinusale respiratoire pour montrer que le rythme respiratoire central ne s'arrête jamais : il persiste pendant toute la durée de l'arrêt de la respiration. On en déduit que l'apnée doit inhiber l'activité rythmique du diaphragme, sans doute par une contraction volontaire continue de ce muscle. Différentes expériences semblent avoir exclu l'intervention d'autres muscles participant à la respiration normale. Ainsi, la reprise de la respiration dépendrait d'une rétroaction sensorielle du diaphragme vers le cerveau, indiquant à quel moment la « fatigue » du muscle n'est plus supportable.
Si tel est le cas, paralyser le diaphragme et, par conséquent, supprimer la rétroaction sensorielle vers le cerveau, devrait permettre aux sujets de prolonger notablement la durée pendant laquelle ils peuvent cesser de respirer. C'est ce qu'ont voulu vérifier Edward Campbell et ses collègues à l'Hôpital Hammersmith à Londres à la fin des années 1960. Deux volontaires sains et conscients ont accepté que tous leurs muscles squelettiques soient paralysés temporairement par une injection intraveineuse de curare, à l'exception de ceux d'un avant-bras, ce qui leur permettait de communiquer. Pendant l'expérience, les sujets ont été placés sous respiration artificielle ; le blocage de la respiration a été simulé par l'arrêt de la ventilation et les sujets ont signalé avec leur main non anesthésiée le moment où ils voulaient que la ventilation soit rétablie.

La paralysie du diaphragme prolonge l'apnée

Les résultats furent étonnants. Les deux volontaires laissèrent la ventilation débranchée pendant environ quatre minutes, durée au bout de laquelle l'anesthésiste est intervenu pour dissiper les effets du curare, parce que la concentration de dioxyde de carbone avait dangereusement augmenté. Après dissipation des effets du curare, les deux sujets ont indiqué qu'ils ne ressentaient pas de symptômes pénibles de suffocation ou de malaise.
Pour des raisons évidentes, une expérience aussi audacieuse n'a pas été répétée souvent. Quelques autres chercheurs ont essayé, mais n'ont pas réussi à reproduire les résultats de Campbell. Les volontaires ont demandé à respirer à nouveau après une durée si courte que leurs concentrations de dioxyde de carbone étaient à peine supérieures à la normale. Les sujets ont peut-être décidé de terminer l'expérience en raison de la gêne causée par l'intubation, une mesure de sécurité qui n'avait pas été mise en œuvre dans l'expérience de Campbell, et parce qu'ils avaient davantage conscience du risque encouru.
Néanmoins, quelques expériences tout aussi remarquables réalisées par Mark Noble, à l'Hôpital Charling Cross dans les années 1970, semblent confirmer que la paralysie du diaphragme prolonge la durée de l'apnée. Au lieu d'une paralysie totale des muscles squelettiques, M. Noble et ses collègues ont paralysé uniquement le diaphragme, en anesthésiant les deux nerfs phréniques, ce qui était beaucoup moins dangereux pour les sujets. Cette anesthésie spécifique a doublé la durée moyenne de l'apnée et réduit les sensations habituelles de malaise accompagnant une absence de respiration.
Les différents résultats semblent confirmer l'hypothèse qu'une contraction volontaire du diaphragme permet de bloquer la respiration en maintenant la poitrine gonflée. Le moment où le sujet
reprend sa respiration dépend des stimulus émis par le diaphragme contracté et qui parviennent au cerveau. Au cours d'une contraction anormalement longue, le cerveau perçoit les signaux inhabituels émis par le diaphragme. Initialement un peu douloureux, ils finissent par devenir insupportables, déclenchant la reprise de la respiration. Le rythme automatique reprend ensuite le contrôle.
Cette hypothèse n'est pas totalement validée, mais elle concorde bien avec les observations de Fowler (selon lesquelles toute interruption du blocage de la respiration par relâchement du diaphragme peut être suivie d'un autre blocage) et avec les effets du gonflement des poumons sur la durée de l'apnée. Le relâchement du diaphragme, même bref, et une légère expiration retarderaient la reprise de la respiration en atténuant les signaux des capteurs de distension dans le diaphragme.

Le signal de reprise : une fatigue excessive du diaphragme

L'augmentation de la concentration d'oxygène et la diminution de celle du dioxyde de carbone dans le sang accroîtraient également la durée de l'apnée, en réduisant les indicateurs biochimiques de fatigue du diaphragme. Tout ce qui empêche le cerveau de surveiller ces informations, par exemple le blocage des nerfs reliant le diaphragme au cerveau, augmente la durée. La tolérance du cerveau à ces signaux désagréables dépend également de l'humeur, de la motivation et de la capacité à penser à autre chose, par exemple à se concentrer sur des opérations de calcul mental pendant l'apnée.
Cette hypothèse est l'explication la plus simple s'appliquant aux diverses observations expérimentales. Certaines de ces expériences comprenaient un nombre trop faible de sujets pour être généralisées, mais elles ne rempliraient pas les critères éthiques en vigueur pour être reproduites aujourd'hui.
En outre, M. Noble et ses collègues avaient réalisé une autre expérience spectaculaire qui ne pourra être répétée pour des raisons éthiques. Ils ont triplé la durée de blocage de la respiration chez trois sujets sains en anesthésiant deux ensembles de nerfs crâniens (les nerfs vagues, qui vont du cerveau à la poitrine et à l'abdomen, et les nerfs glossopharyngiens, reliés à la glotte, au larynx et diverses régions de la gorge). Ces résultats ne semblent pas impliquer le diaphragme, sauf qu'il est possible que les nerfs vagues transmettent eux aussi des signaux provenant du diaphragme. Il paraît moins vraisemblable que le larynx contienne lui-même un muscle intervenant dans le blocage de la respiration ; en 1993, lorsque le chirurgien australien Martyn Mendelsohn, à Sydney, a examiné la glotte (à l'aide d'une caméra insérée dans une narine), il a constaté qu'elle restait souvent ouverte pendant toute la durée de l'apnée. Cette observation semble confirmer que le diaphragme joue un rôle clé.

Des applications en médecine

Une meilleure compréhension de la capacité à retenir sa respiration a des applications en médecine. Ainsi, les femmes atteintes d'un cancer du sein subissent des séances de radiothérapie, durant lesquelles il faut irradier la tumeur en administrant des doses létales, sans endommager les tissus sains aux alentours. Cette opération nécessite une exposition aux rayonnements de plusieurs minutes, pendant lesquelles la patiente doit essayer de maintenir sa poitrine immobile. Comme on ne peut pas lui demander de ne pas respirer pendant si longtemps, on administre généralement de courtes rafales de rayonnements entre chaque inspiration, au moment où la poitrine bouge le moins. Avec plusieurs collègues oncologues et radiothérapeutes, nous avons commencé à tester s'il serait possible de prolonger suffisamment le blocage de la respiration pour améliorer la radiothérapie.
Mieux connaître les mécanismes impliqués dans le blocage de la respiration pourrait également être précieux pour les forces de l'ordre, lorsqu'elles maîtrisent des suspects. Chaque année partout dans le monde, certaines personnes ainsi maîtrisées meurent accidentellement. L'augmentation de la vitesse du métabolisme, la compression de la poitrine, la diminution de la concentration d'oxygène et l'augmentation de celle du dioxyde de carbone dans le sang, tous ces paramètres raccourcissent la durée du blocage de la respiration d'une personne. Ainsi, quelqu'un qui est en colère, qui s'est battu et qui est maintenu à terre par la force peut avoir besoin de reprendre sa respiration plus vite que quelqu'un qui est détendu.
En 2000, Andrew Cummin et son équipe de l'Hôpital Charing Cross ont étudié, chez huit sujets sains qui avaient fait un peu de vélo, les conséquences d'une expiration maximale, suivie d'un blocage de la respiration : les sujets n'ont pu rester sans respirer plus de 15 secondes, la quantité moyenne d'oxygène dans leur sang a fortement chuté et chez deux d'entre eux les battements cardiaques sont devenus irréguliers. Les chercheurs en ont conclu qu'un « arrêt de la respiration pendant de courtes périodes lors d'une immobilisation vigoureuse peut expliquer des morts subites ». Les autorités policières britanniques ont rédigé des directives précises quant à l'utilisation de l'immobilisation par la force.

Post a Comment

0 Comments